Le Chemin de la Fortune


selon Benjamin Franklin



«En ce monde, rien n'est certain,
à part la mort et les impôts.»

- Benjamin Franklin -


Le poète Chaucer appelle son campagnard un Franklin, et ayant décrit l'honorable manière avec laquelle ce Franklin tenait sa maison, il dit de lui:

"Ce bon Franklin, l'honneur de son pays,
Simple en ses mœurs, simple dans sa parure,
Modestement portait à sa ceinture,
Bourse de soie aussi blanche qu'un lys.
Preux chevalier, juge très-équitable,
Franc, généreux, compatissant, humain,
Tendant au pauvre une main secourable,
Par ses conseils éclairant l'incertain,
Il eut le don de plaire: il fut enfin,
Toujours aimé, comme toujours aimable."

Tout le portrait de Benjamin!

Quels furent donc ces précieux conseils? Nous les trouvons dans «Le Chemin de la Fortune» et autres «Secrets de Richesse»...

Benjamin Franklin résuma dans «La Science du Bonhomme Richard», ou «Le Chemin de la Fortune», cette suite de maximes dictées par le plus délicat bon sens et la plus droite honnêteté.

C'est l'enseignement même du travail, de la vigilance, de l'économie, de la prudence, de la sobriété, de la droiture.

Il les conseille par des raisons simples et profondes, avec des mots justes et fins.

La morale y est prêchée au nom de l'intérêt, et la vérité économique s'y exprime en sentences si heureuses qu'elles sont devenues des proverbes immortels.

Voici quelques-uns de ces proverbes, agréables à lire, utiles à suivre:

«La paresse va si lentement que la pauvreté l'atteint bientôt.»

«Il en coûte plus cher pour entretenir un vice que pour élever deux enfants.»

«L'orgueil déjeune avec l'abondance, dîne avec la pauvreté, et soupe avec la honte.»

«Celui qui ne sait pas être conseillé ne peut pas être secouru.»

«Si vous ne voulez pas écouter la raison, elle ne manquera pas de se faire sentir.»

«L'expérience tient une école où les leçons coûtent cher; mais c'est la seule où les insensés puissent s'instruire.»

Cet almanach, eut un grand succès et une non moins grande influence sur des dizaines de milliers de personnes.

Ces conseils pour s’enrichir datent de plus de 2 siècles! L'on pourrait leur trouver un air peu «démodé», ou un aspect d'apparence parfois rigide, car Benjamin Franklin, en bon Capricorne, était très exigeant avec lui-même...

Mais ne vous méprenez pas: vous allez découvrir avec étonnement que, malgré les années, ils sont pour la plupart toujours «d’actualité» et surtout, pour celui qui veut s’enrichir en partant de rien, pleins de bon sens...

Et ils ont bel et bien permis à Benjamin Franklin de faire Fortune et, alors qu'il était parti de zéro, d'arrêter de travailler à l'âge de 42 ans!...


LA SCIENCE DU BONHOMME RICHARD
OU LE CHEMIN DE LA FORTUNE

Tel qu'il est clairement indiqué dans un vieil almanach de Pensylvanie, intitulé: L'Almanach du Bonhomme Richard.


AMI LECTEUR,

J'ai ouï dire que rien ne fait tant de plaisir à un auteur que de voir ses ouvrages cités par d'autres avec respect.

Juge d'après cela combien je dus être content de l'aventure que je vais te raconter.

J'arrêtai dernièrement mon cheval dans un endroit où il y avait beaucoup de monde assemblé pour une vente à l'enchère. L'heure n'étant pasencore venue, l'on causait de la dureté des temps.

Comment nous augmentons nous-même nos impôts...

Quelqu'un, s'adressant à un bon vieillard en cheveux blancs et assez bien mis, lui dit:

«Et vous, père Abraham, que pensez-vous de ce temps-ci ? Ces lourds impôts ne vont-ils pas tout à fait ruiner le pays ? Comment ferons-nous pour les payer? Que nous conseilleriez-vous?»

Le père Abraham attendit un instant, puis répondit:

«Si vous voulez avoir mon avis, je vais vous le donner en peu de mots, car, un mot suffit au sage, comme dit le bonhomme Richard.»

Chacun le priant de s'expliquer, l'on fit cercle autour de lui, et il poursuivit en ces termes:

«Mes amis, les impôts sont, en vérité, très lourds, et pourtant, si ceux du gouvernement étaient les seuls à payer, nous pourrions encore nous tirer d'affaire.

Mais il y en a bien d'autres et de bien plus onéreux pour quelques-uns de nous. Nous sommes taxés:

pour le double au moins par notre paresse,
pour le triple par notre orgueil,
pour le quadruple par notre étourderie,

et, pour ces impôts-là, le percepteur ne peut nous obtenir
ni diminution ni délai; cependant tout n'est pas désespéré,
si nous sommes gens à suivre un bon conseil:

«Aide-toi, le Ciel t'aidera»,

dit le bonhomme Richard.


Un bien très précieux que nous dilapidons sans le savoir.

On regarderait comme un gouvernement insupportable celui qui exigerait de ses sujets la dixième partie de leur temps pour son service.

Mais la paresse est bien plus exigeante chez la plupart d'entre nous. L'oisiveté, qui amène les maladies, raccourcit beaucoup la vie.

«L'oisiveté, comme la rouille, use plus que le travail; la clef est claire tant que l'on s'en sert», dit le bonhomme Richard.

«Vous aimez la vie, dit-il encore: ne perdez donc pas le temps, car c'est l'étoffe dont la vie est faite.

Combien de temps ne donnons-nous pas au sommeil au delà du nécessaire, oubliant que renard qui dort ne prend pas de poule, et que nous aurons le temps de dormir dans la tombe», comme dit le bonhomme
Richard.

Si le temps est le plus précieux des biens, «La perte du temps, comme dit le bonhomme Richard, doit être la plus grande des prodigalités».

Il nous dit ailleurs: «Le temps perdu ne se retrouve plus; assez de temps est toujours trop court». Ainsi donc, au travail, et pour cause! De l'activité! Et nous ferons davantage avec moins de peine.

«L'oisiveté rend tout difficile; le travail rend tout aisé; celui qui se lève tard traîne tout le jour, et commence à peine son ouvrage à la nuit».

«Fainéantise va si lentement, que pauvreté l'atteint tout de suite».

«Pousse les affaires, et qu'elles ne te poussent pas».

«Se coucher tôt, se lever tôt, donnent santé, richesse et sagesse», comme dit le bonhomme Richard.


Un moyen simple de vous mettre à l’abri des soucis

Et que signifient ces souhaits et cet espoir d'un temps meilleur? Nous ferons le temps meilleur, si nous savons nous remuer nous-mêmes.

Activité n'a que faire de souhaits; qui vit d'espoir mourra de faim; point de gain sans peine.

Il faut m'aider de mes mains, faute de terres, ou, si j'en ai, elles sont écrasées d'impôts; un métier est un fonds de terre, une profession est un emploi qui réunit honneur et profit ; mais il faut travailler à son métier et suivre sa profession, sans quoi ni le fonds, ni l'emploi ne nous mettront en état de payer l'impôt.

Si nous sommes laborieux, nous n'aurons pas à craindre la disette; car la faim regarde à la porte du travailleur; mais elle n'ose pas y entrer.

Les commissaires et les huissiers n'y entreront pas non plus; car l'activité paye les dettes, tandis que le découragement les augmente.

Il n'est que faire que vous trouviez un trésor ni qu'il vous arrive un riche héritage. Activité est mère de prospérité, et Dieu ne refuse rien au travail. Ainsi donc, labourez profondément pendant que les paresseux dorment, et vous aurez du blé à vendre et à garder.

Travaillez pendant que c'est aujourd'hui, car vous ne savez pas combien vous en serez empêché demain. «Un aujourd'hui, vaut deux demain», comme dit le bonhomme Richard, et encore: «Ne remets jamais à demain ce que tu peux faire aujourd'hui».

Si vous étiez au service d'un bon maître, ne seriez-vous pas honteux qu'il vous surprît les bras croisés?

Mais vous êtes votre propre maître.

Rougissez donc de vous surprendre à rien faire, quand il y a tant à faire, pour vous-même, pour votre famille, pour votre pays. Prenez vos outils sans mitaines, souvenez-vous que «chat ganté ne prend pas de souris», comme dit le bonhomme Richard.

Il est vrai qu'il y a beaucoup de besogne et peut-être avez-vous le bras faible? Mais tenez ferme, et vous verrez des merveilles:

A la longue, les gouttes d'eau percent la pierre.

Avec de l'activité et de la patience, la souris coupe le câble.

Les petits coups font tomber de grands chênes.

Vous aurez du loisir… à une condition.

Je crois entendre quelqu'un de vous me dire: «Mais ne peut-on se donner un instant de loisir?».

Je te dirai, mon ami, ce que dit le bonhomme Richard:

«Emploie bien ton temps, si tu songes à gagner du loisir; et puisque tu n'es pas sûr d'une minute, ne perds pas une heure».

Le loisir, c'est le moment de faire quelque chose d'utile.

Ce loisir, l'homme actif l'obtiendra, mais le fainéant, jamais; car une vie de loisir et une vie de fainéantise sont deux.

Bien des gens voudraient vivre sans travailler, sur leur seul esprit; mais ils échouent faute de fonds.

Le travail, au contraire, amène à sa suite les aises, l'abondance, la considération. Fuyez les plaisirs et ils courront après vous.

La fileuse diligente ne manque pas de chemises; à présent que j'ai vache et moutons, chacun me donne le bonjour.

Votre prospérité grandira si vous respectez une règle essentielle

Mais indépendamment de l'amour du travail, il nous faut encore de la stabilité, de l'ordre, du soin, et veiller à nos affaires de nos propres yeux, sans nous en rapporter tant à ceux des autres; car, comme dit le bonhomme Richard, «Je n'ai jamais vu venir à bien arbre ou famille changés souvent de place».

Puis ailleurs: «Garde ta boutique et ta boutique te gardera». Et ailleurs encore: «Si vous voulez que votre besogne soit faite, allez-y; si vous voulez qu'elle ne soit pas faite, envoyez-y».

Le bonhomme dit aussi: «Celui qui par la charrue veut s'enrichir, de sa main doit la tenir»; et ailleurs:

«L'œil du maître fait plus d'ouvrage que ses deux mains»; «Faute de soin fait plus de tort que faute de science», «Ne pas surveiller vos ouvriers, c'est leur livrer votre bourse ouverte ».

Le trop de confiance est la ruine de plusieurs: dans les choses de ce monde, ce n'est pas la foi qui sauve, mais le doute.

Le soin que l'on prend soi-même est celui qui fructifie le mieux; car, si vous voulez avoir un serviteur fidèle et qui vous plaise, servez-vous vous-même.

Grand malheur naît parfois de petite négligence.

Faute d'un clou, le fer du cheval se perd; faute d'un fer, on perd le cheval; faute d'un cheval, le cavalier est perdu, parce que son ennemi l'atteint et le tue: le tout, faute d'attention au clou d'un fer à cheval.

Un grand principe d'enrichissement

C'en est assez, mes amis, sur l'activité et l'attention à nos propres affaires; il faut y ajouter l'économie, si nous voulons assurer le succès de notre travail.

Un homme, s'il ne sait pas mettre de côté à mesure qu'il gagne, aura toute la vie le nez sur la meule et mourra sans le sou.

A cuisine grasse, testament maigre.

Bien des fonds de terre s'en vont à mesure qu'ils viennent, depuis que les femmes oublient pour le thé le rouet et le tricot; depuis que les hommes laissent, pour le punch, la scie ou le rabot.

Si vous voulez être riche, apprenez à mettre de côté pour le moins autant qu'à gagner. L'Amérique n'a pas enrichi l'Espagne, parce que ses dépenses ont toujours dépassé ses recettes.

Laissez là toutes vos folies dispendieuses, et vous n'aurez plus tant à vous plaindre de la dureté des temps, de la pesanteur de l'impôt et des charges du ménage; car les femmes et le vin, le jeu et la mauvaise foi, font petites les richesses et grands les besoins; et, comme le dit ailleurs le bonhomme Richard, «un vice coûte plus à nourrir que deux enfants».

Vous pensez peut-être qu'un peu de thé, un peu de punch de temps à autre, un plat un peu plus recherché, des habits un peu plus brillants, une partie de plaisir par-ci, par-là, ne tirent pas à conséquence; mais souvenez-vous que les petits ruisseaux font les grandes rivières.

Défiez-vous des petites dépenses

«Il ne faut qu'une petite fente pour couler à fond un grand navire», dit le bonhomme Richard. Les gens friands seront mendiants; les fous font la noce et les sages la mangent.

Vous voilà tous assemblés ici pour acheter des colifichets et des babioles: vous appelez cela des biens; mais si vous n'y prenez garde, cela pourra être des maux pour plusieurs d'entre vous.

Vous comptez qu'ils seront vendus bon marché, et peut-être seront-ils en effet vendus au-dessous du prix courant; mais si vous n'en avez que faire, ils seront encore trop chers pour vous.

Rappelez-vous ce que dit le bonhomme Richard:

«Achète ce qui t'est inutile, et tu vendras sous peu, ce qui t'est nécessaire».

Êtes-vous sûr de faire vraiment une «bonne affaire»?

Il dit encore: «Réfléchis bien avant de profiter de ce qui semble bon marché»; nous faisant entendre que le bon marché n'est peut-être qu'apparent, ou que l'achat, par la gêne qu'il amène, nous fera plus de mal que de bien. La vraie question est: «En avez-vous réellement besoin?».

Le Bonhomme Richard il dit dans un autre endroit: «Les bons marchés ont ruiné nombre de gens»; et ailleurs: «C'est une folie que d'employer son argent à acheter un repentir».

Et cependant cette folie se renouvelle chaque jour dans les ventes, faute de penser à l'Almanach. Combien pour la parure de leurs épaules ont fait jeûner leur ventre, et presque réduit leur famille à mourir de faim! «Soie et satin, écarlate et velours, éteignent le feu de lacuisine», dit le bonhomme Richard.

Loin d'être les nécessités de la vie, ils en sont à peine les commodités, et pourtant, parce qu'ils brillent à la vue, combien de gens s'en font un besoin!

Par ces extravagances et autres semblables, les gens du bel air sont réduits à la pauvreté et forcés d'emprunter à ceux qu'ils méprisaient auparavant, mais qui se sont maintenus par l'activité et l'économie; ce qui prouve que:

«Un laboureur sur ses pieds est plus grand qu'un gentilhomme à genoux»,

comme dit le bonhomme Richard. Peut-être avaient-ils reçu quelque petit héritage sans savoir comment cette fortune avait été acquise: «Il est jour, pensaient-ils, il ne sera jamais nuit; que fait une si mesquine dépense sur une telle somme?».

Mais, «à force de puiser à la huche sans y rien mettre, l'on en trouve le fond», comme dit le bonhomme Richard; et c'est alors, «c'est quand le puits est à sec, que l'on sait le prix de l'eau».

Un moyen très sûr de vous rendre dépendant

Mais, direz-vous, c'est ce qu'ils auraient su plus tôt, s'ils avaient suivi le conseil du bonhomme Richard: «Voulez-vous savoir le prix de l'argent, allez et essayez d'en emprunter» Qui va à l'emprunt cherche un affront; et de fait, il en arrive autant à celui qui prête à certaines gens, quand il veut rentrer dans ses fonds.

Le bonhomme Richard nous avertit et nous dit: «L'orgueil de vouloir paraître est une vraie malédiction; avant de consulter votre fantaisie, consultez votre bourse».

Il nous dit aussi: «L'orgueil est un mendiant qui crie aussi haut que le besoin et avec bien plus d'effronterie».

Avez-vous fait emplette d'une jolie chose, il vous en faut acheter dix autres, pour que vos acquisitions anciennes et nouvelles ne jurent pas entre elles.

Aussi, dit le bonhomme Richard:

«Il est plus aisé de réprimer le premier désir que de contenter tous ceux qui suivent».

Le pauvre qui singe le riche est véritablement aussi fou que la grenouille qui s'enfle pour égaler le bœuf en grosseur. Les grands vaisseaux peuvent risquer davantage, mais les petits bateaux ne doivent pas s'écarter du rivage.

Au surplus, les folies de cette nature sont assez vite punies; car, comme dit le bonhomme Richard: «L'orgueil qui dîne de vanité soupe de mépris». «L'orgueil déjeune avec l'abondance, dîne avec la pauvreté, et
soupe avec la honte».

Et que revient-il, après tout, de cette envie de paraître pour laquelle on a tant de risques à courir et tant de peines à subir?

Elle ne peut conserver un jour de plus la santé, ni adoucir la souffrance. Elle n'ajoute pas un grain au mérite de la personne; elle éveille la jalousie, elle hâte le malheur.

Quelle sottise n'est-ce pas de s'endetter pour de telles superfluités!

Dans cette vente-ci, l'on vous offre six mois de crédit, et c'est peut-être là ce qui a engagé quelques-uns de nous à s'y rendre, parce que, n'ayant pas d'argent à débourser, nous espérons nous parer gratuitement. Mais pensez-vous à ce que vous faites en vous endettant?

Vous pouvez éviter de vous mettre un boulet au pied.

Si vous ne payez pas au terme fixé, vous rougirez de voir votre créancier; vous tremblerez en lui parlant: vous inventerez de pitoyables excuses, et, par degrés, vous arriverez à perdre votre franchise, vous tomberez dans les mensonges les plus tortueux et les plus vils; car:

«Mentir n'est que le second vice; le premier est de s'endetter inutilement», dit le bonhomme Richard; «le mensonge monte en croupe de la dette», dit-il encore à ce sujet.

Un homme né libre ne devrait jamais rougir ni trembler devant tel homme vivant que ce soit; mais souvent la pauvreté efface et courage et vertu.

«Il est difficile à un sac vide de se tenir debout.»

Que penseriez-vous d'un gouvernement qui vous défendrait par un édit de vous habiller comme un grand seigneur ou comme une grande dame, sous peine de prison ou de servitude?

Ne direz-vous pas que vous êtes libres; que vous avez le droit de vous habiller comme bon vous semble; qu'un tel édit est un attentat formel à vos privilèges, qu'un tel gouvernement est tyrannique?

Et cependant, vous consentez à vous soumettre à une tyrannie semblable, dès l'instant où vous vous endettez inutilement, juste pour briller!

Votre créancier est autorisé à vous priver, selon son bon plaisir, de votre liberté, en vous confinant pour la vie dans une prison, ou bien en vous vendant comme esclave si vous n'êtes pas en état de le payer.

Quand vous avez fait votre marché, peut-être ne songiez-vous guère au payement; mais, comme dit le bonhomme Richard, «les créanciers ont meilleure mémoire que les débiteurs».

«Les créanciers, dit-il encore, forment une secte superstitieuse, observatrice des jours et des temps».

Le jour de l'échéance arrive avant que vous l'ayez vu venir, et l'on monte chez vous avant que vous soyez en mesure; ou bien, si votre dette est présente à votre esprit, le terme, qui vous avait d'abord paru si long, vous paraîtra bien peu de chose à mesure qu'il s'accourcit.

Vous croirez que le temps s'est mis des ailes aux talons comme aux épaules. «Le carême est bien court pour qui doit payer à Pâques».

Peut-être vous croyez-vous à ce moment en position de faire, sans préjudice, quelques petites extravagances; mais alors épargnez, pendant que vous le pouvez, pour le temps de la vieillesse et du besoin. Le soleil du matin ne brille pas tout le jour.

Le gain est passager et incertain; mais la dépense sera, toute votre vie, continuelle et certaine; et «il est plus aisé de bâtir deux cheminées que d'en tenir une chaude», comme dit le bonhomme Richard; «ainsi, ajoute-t-il, allez plutôt vous coucher sans souper que de vous lever avec une dette».

Comment transformer le plomb en or

«Gagnez ce que vous pouvez,
et gardez bien ce que vous gagnez.»

Voilà la pierre qui changera votre plomb en or!

Et quand vous posséderez cette pierre philosophale, soyez sûrs que vous ne vous plaindrez plus de la dureté des temps ni de la difficulté à payer l'impôt.

Cette doctrine, mes amis, est celle de la raison et de la sagesse; n'allez pas cependant vous confier uniquement à l'activité, à l'économie, à la prudence, bien que ce soit d'excellentes choses. Car elles vous seraient tout à fait inutiles sans la bénédiction du Ciel.

Demandez donc humblement cette bénédiction, et ne soyez pas sans charité pour ceux qui paraissent en avoir besoin présentement, mais consolez-les et aidez-les.

N'oubliez pas que Job fut bien misérable, et qu'ensuite il redevint heureux.

Et maintenant, pour terminer: «L'expérience tient une école qui coûte cher; mais c'est la seule où les insensés puissent s'instruire", comme dit le bonhomme Richard, "et encore n'y apprennent-ils pas grand chose».

Il a bien raison de dire que l'on peut donner un bon avis, mais non la conduite.

Toutefois, rappelez-vous ceci: «Qui ne sait pas être conseillé, ne peut être secouru»; et puis ces mots encore: «Si vous n'écoutez pas la raison, elle ne manquera pas de vous taper sur les doigts», comme dit le bonhomme Richard.

Le Vieillard finit ainsi sa harangue.

On l'avait écouté; l'on approuva ce qu'il venait de dire et l'on fit sur-le-champ le contraire...

Précisément comme il arrive, aux sermons ordinaires; car la vente s'ouvrit et chacun enchérit de la manière la plus extravagante.

Je vis que ce brave homme avait soigneusement étudié mes Almanachs et digéré tout ce que j'avais dit sur ces matières pendant vingt-cinq ans.

Les fréquentes citations qu'il avait faites eussent fatigué tout autre que l'auteur cité; ma vanité en fut délicieusement affectée, bien que je n'ignorasse pas que, dans toute cette sagesse, il n'y avait pas la dixième partie qui m'appartînt et que je n'eusse glanée dans le bon sens de tous les siècles et de tous les pays.

Quoi qu'il en soit, je résolus de mettre cet écho à profit pour moi-même; et, bien que d'abord je fusse décidé à m'acheter un habit neuf, je me retirai, déterminé à faire durer le vieux.

Ami lecteur, si tu peux en faire autant, tu y gagneras petit à petit autant que moi: la vraie fortune...

Benjamin Franklin